Les situations où une personne en position de responsabilité cède de cette responsabilité pour se comporter d’une manière irresponsable sont innombrables et parsèment le quotidien. Des comportements enfantins aux actes inciviques, que ces comportements soient agis au travail ou bien dans un environnement privé, avec un membre de son entourage, amical ou familial, les exemples de comportements irresponsables ordinaires ne manquent pas. Ils sont ici qualifiés d’ordinaires car ils sont si courants et paraissent si minimes à première vue qu’ils sont habituellement banalisés et normalisés, en dépit des effets, notamment par leur accumulation, qu’ils produisent. Ces effets sont pourtant la manifestation d’une souffrance psychique.
L’un des contextes dans lequel cette irresponsabilité s’exprime tout particulièrement est celui de la relation d’un parent à son enfant. L’enfant, mineur pendant les dix-huit premières années de sa vie, se trouve d’abord dans une radicale dépendance à l’autre, cet autre étant dans la plupart des cas représenté par les figures parentales. Il va donc devoir composer avec l’amour, mais également avec les attentes, les projections, l’agressivité ou les négligences de ces figures parentales.
Le docteur de Amorim propose une distinction entre majeur et adulte (1). Là où l’adulte tient sa position et permet à l’enfant de grandir, le majeur se maintient dans une posture d’immaturité qui le tire vers le bas, en entraînant avec lui ceux qui l’entoure.
Un parent qui n’occupe pas une position d’adulte, ce peut être un père qui fume du cannabis avec son enfant, ou bien une mère qui entre dans l’intimité de son fils ou de sa fille, qu’il s’agisse de son intimité corporelle à travers des démonstrations ou des attentes affectives trop importantes, ou de son intimité psychique, en cherchant à connaître ce que son enfant ne souhaite pas lui partager de sa vie. Ce peut être un parent qui ne prend pas soin de sa vie indépendamment de ses fonctions parentales et néglige sa vie professionnelle, ses relations amicales, sa vie sexuelle ou sa vie amoureuse. Ce peut être encore lorsqu’un parent se saisit des occasions qui se présentent pour négliger ses responsabilités parentales en se déchargeant sur les adultes présents à l’occasion de moments familiaux ou amicaux. Ce peut être également tous ces moments où un parent, agissant en présence de son enfant, dit à ce dernier : « ne prends pas exemple sur ce que je suis en train de faire, ne fais pas comme moi » sans pour autant changer son comportement.
Ces postures d’irresponsabilité ne sont jamais sans conséquences, à commencer pour les mineurs, qui n’ont pas d’autres choix que de faire avec de telles situations, même si les réactions à ces situations pourront différer d’un enfant à l’autre. En effet, certains auront tendance à se rebeller alors que d’autres seront plus enclin à s’y aliéner, par identification. D’autres encore développeront divers symptômes, comme autant de manifestations de leurs souffrances psychiques (peurs, phobies, manifestations corporelles, repli, etc.).
Si tant de personnes se maintiennent dans une position de majeur, c’est qu’elles y trouvent un bénéfice dont elles ne sont pas prêtes à se départir. Le bénéfice – conscient et inconscient – n’empêche pas la souffrance. Ce bénéfice est souvent représenté par une plainte, le maintien d’une position enfantine ou de victimisation, où l’autre est mis en position de fautif ou de responsable, mais pas soi. Et si la souffrance n’est pas formulée du côté des parents, il n’est pas rare de la voir ressurgir à travers les symptômes que développe l’enfant.
Il en va de même du contentement qu’un parent peut éprouver en dormant avec son enfant, en le maintenant dans une position d’enfant pour ne pas avoir à s’en séparer (2).
Or, être adulte va de pair avec le constat d’une radicale séparation entre soi et l’autre, que cet autre soi le conjoint ou l’enfant : l’autre n’est pas soi et ce savoir va de pair avec le manque, une incomplétude fondamentale qu’il n’est dès lors plus demandé – demande qui peut être consciente pour une part mais aussi largement inconsciente – au conjoint ou à l’enfant, de combler (3).
Traverser une psychanalyse est caractérisé par ce passage de l’irresponsabilité à la responsabilité, vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis d’autrui. Elle offre la possibilité d’un allègement, profitable pour soi et pour l’autre.
(1) Amorim (de), A. « Le difficile passage de l’adolescence à l’âge adulte », https://www.fernandodeamorim.com/le-difficile-passage-de-ladolescence-a-lage-adulte/
(2) Blachère, C. « La relation parent-enfant : de la dépendance à l’indépendance », https://www.chloeblachere.com/2022/06/13/la-relation-parent-enfant-de-la-dependance-a-lindependance/
(3) Blachère C. « Être seul et être solitaire : quelle différence ? », https://www.chloeblachere.com/2025/03/10/etre-seul-et-etre-solitaire-quelle-difference/
Docteur Chloé Blachère
Psychothérapie et psychanalyse à Paris 18è