Être seul n’est pas synonyme de vivre seul. Tout être, qu’il soit entouré ou non, fait l’expérience d’être seul. Dès sa naissance, et même s’il est entouré de personnes aimantes, il a affaire avec lui-même, ses pulsions, ses éprouvés, et ce n’est d’abord que par les hypothèses et interprétations des autres à son égard – à commencer par ses parents ou ses substituts – qu’il va parvenir, progressivement, à se repérer quelque peu par et pour lui-même.
Pour se débrouiller avec cette solitude, l’enfant va construire des théories, qui sont des lectures imaginaires lui permettant de faire avec sa condition fondamentale d’être seul : ce qu’il éprouve, ce qu’il pense, personne n’y a accès sans que celui-ci n’en donne préalablement l’accès, c’est en cela qu’il est seul. Pour autant, cette solitude ne signifie pas que sa condition est de vivre en solitaire.
Certaines personnes pensent – elles en ont même parfois la certitude – que parce qu’elles partagent le quotidien d’un conjoint, elles connaissent ce dernier comme leur poche. De la même manière, certaines mères pensent – ou plus précisément le Moi de l’appareil psychique de ces mères, car il s’agit d’une croyance ou d’une certitude forgée par le Moi et non d’une appréciation de la mère en elle-même – connaître leur enfant sur le bout des doigts. Or et dans la mesure où cette connaissance de soi-même est déjà impossible, comment prétendre à une telle connaissance pour un autre, aussi proche soit-il ? Cette considération m’évoque la thèse de doctorat qu’avait défendu une camarade à propos d’adolescents non musulmans partis faire le djihad et la découverte, pour leurs mères, de qui étaient leurs enfants qu’elles pensaient connaître (1).
Ainsi il n’y a pas de garantie de qui est l’autre, de même qu’il n’y a pas de garantie de soi. Pour autant, et heureusement, cela n’empêche pas de vivre ensemble et de tisser des liens d’affection et des liens de confiance.
Lorsque cette condition fondamentale d’être seul fait souffrir, la rencontre avec un psychanalyste peut être une occasion d’explorer les ressorts inconscients de cette souffrance. Quel qu’en soit le contexte, une vie très entourée ou au contraire solitaire, celle d’une séparation ou d’un deuil récent, aller à la rencontre de soi-même constitue, à travers une psychothérapie puis une psychanalyse, une voie possible permettant d’alléger les lectures imaginaires qui viennent imprégner son rapport à soi-même et ses relations aux autres.
(1) Dulck, B. (2022). « Le djihad d’adolescents non musulmans, convertis racontés par leurs mères : de la nostalgie du féminin des origines aux fantasmes matricides » , https://theses.fr/2022PA131037
Docteur Chloé Blachère
Psychothérapie et psychanalyse à Paris 18è