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La tendance sociétale actuelle va davantage dans le sens d’une déresponsabilisation des êtres plutôt que dans celui d’une responsabilisation. Ce constat concerne notamment ceux qui, parmi ces êtres, souffrent ; comme si les déresponsabiliser allait permettre d’alléger leur souffrance. Peut-être est-ce également en ce qu’une confusion est régulièrement faite entre responsabiliser et culpabiliser, bien qu’il s’agisse de deux notions distinctes.


De son côté, si le clinicien, lorsqu’il écoute la souffrance d’un patient ou d’un psychanalysant et la culpabilité qui peut lui être associée, s’empresse de faire taire leur expression, ou bien s’il s’efforce d’atténuer celles qui se dévoilent progressivement au cours de la cure (c’est-à-dire au cours de la psychothérapie ou de la psychanalyse), c’est généralement d’abord parce qu’elles lui sont à lui-même insupportables.



Ainsi, si un clinicien ne fait pas d’abord cet effort d’associer librement sa propre souffrance et sa culpabilité dans sa cure, quelle place pourra-t-il faire à celles de l’autre lorsqu’il sera amené à occuper la position de clinicien ? S’il ne s’approche pas d’abord de l’angoisse qu’est la sienne, comment pourra-t-il être à son poste et accueillir celle de l’autre ?


Quelle possibilité cet empressement à rassurer, à réconforter ou à déculpabiliser offre-t-il à ce que la souffrance d’un être, sa colère, son agressivité, sa haine, et finalement ses fantasmes inconscients, puissent être dits en séance et associés librement par le patient ou le psychanalysant ? Comment celui-ci pourra-t-il construire son existence en se délestant de sa souffrance si l’expression de celle-ci est barrée par les difficultés du clinicien ?



Lorsqu’un clinicien fait usage de diagnostics auprès d’un patient ou d’un psychanalysant, n’est-ce pas là une tactique visant à circonscrire la souffrance psychique de celui-ci ? N’est-ce pas là par exemple une manière de répondre à la demande pouvant être formulée par celui-ci, sans considérer que cette réponse n’équivaut pas à traiter la souffrance ? Car si le diagnostic est un outil dont la visée est de permettre au clinicien de conduire la cure dans la bonne direction, l’énoncer auprès du patient ou du psychanalysant revient à lui assigner un signifiant qui n’est pas le sien ou bien revient à l’y réduire, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, vient contaminer la thérapeutique.



Ou encore, lorsqu’un clinicien se contente de prescrire un traitement médicamenteux comme seule thérapeutique à une souffrance psychique, il s’agit d’une prise en charge palliative et non curative. Cette réponse chimique, lorsqu’elle n’est pas accompagnée d’une psychothérapie ou d’une psychanalyse, ne peut prétendre aller dans le sens d’une responsabilité de l’être vis-à-vis de lui-même, responsabilité qui vise l’autonomie et la dignité de celui-ci.



Et si l’une et l’autre de ces pratiques viennent apporter une réponse à la demande formulée du patient d’être compris et reconnu, il ne tire pas pour autant ce dernier de son embarras, c’est-à-dire de sa souffrance. Pourtant cette souffrance, à travers la plainte et ses expressions symptomatiques, peut être une occasion, pour un être, de reconsidérer sa vie et de faire des choix dont lui seul pourra valider ou non, a posteriori, la valeur thérapeutique. Mais encore faut-il que le clinicien laisse venir en séance le matériel inconscient, à commencer par la haine qui a été refoulée et s’est accumulée jusqu’à produire des symptômes.


Ainsi, au contraire de répondre à la demande de compréhension et de reconnaissance du patient dont l’effet de soulagement ne sera que de courte durée, la responsabilité d’un clinicien consiste à inviter le patient ou le psychanalysant qui vient lui rendre visite à associer librement ses pensées afin que, ce faisant, celui-ci puisse construire sa responsabilité vis-à-vis de lui-même. Cette construction ouvre davantage de perspectives que celle d’une stricte identification à un symptôme ou à un diagnostic. Dans ce second cas, l’être est maintenu dans une position d’attente vis-à-vis de l’autre et donc de dépendance, exigeant que sa souffrance à être dans le monde soit reconnue par la société et que le monde s’adapte à son ou ses symptômes. Dans le premier cas, qui est la voie que visent la psychothérapie puis la psychanalyse, il s’agira de construire une manière subjective d’être dans le monde, c’est-à-dire en composant avec le Réel.


Docteur Chloé Blachère

Psychothérapie et psychanalyse à Paris 18è