L’université dans la formation du clinicien
La découverte et la transmission de la psychanalyse se fait d’abord dans le cabinet d’un psychanalyste, en expérimentant soi-même ce qu’est et ce que produit d’associer librement ses pensées sur un divan.
Ainsi la psychanalyse, j’y ai personnellement eu affaire et y ai affaire en-dehors de l’université, dans l’intimité du cabinet de psychanalyse, mais aussi au sein d’une école de psychanalyse, le RPH (Réseau pour la psychanalyse à l’hôpital -Ecole de psychanalyse), à travers les différents enseignements qui s’y déroulent : supervisions, réunions cliniques, passes internes et externes, séminaires, groupes de travail, groupes de lectures, colloques, journées d’étude, etc.
En 1919, à travers un court article, Freud repérait déjà que l’enseignement de la psychanalyse se faisait avant tout au sein d’une association psychanalytique, avec le partage entre pairs, l’approfondissement théorique des connaissances, la pratique clinique et la supervision. Il indiquait que ces différents dispositifs constituaient les éléments de la formation du psychanalyste, et que ceux-ci se situaient donc hors du champ universitaire. Mais pour autant, dans ce même texte, celui-ci exprimait également que l’inclusion de la psychanalyse au sein de l’université, sans être indispensable, était une bonne chose (1).
Il me semble en effet que la transmission de la psychanalyse à l’université est une très bonne chose dans la formation d’un clinicien, mais qu’en revanche, elle ne forme pas à un métier, c’est-à-dire à la dimension clinique que celui-ci requiert.
L’université dans l’après-coup de l’expérience clinique
Dans mon cas, et indépendamment de ma formation initiale qui s’est déroulée à l’université jusqu’à l’obtention d’un diplôme en psychologie clinique et psychopathologie, c’est par le biais de la recherche que je suis revenue, plusieurs années après avoir été diplômée, à l’université. C’est en m’engageant dans une thèse de doctorat que j’ai pu explorer, au moyen des substrats théoriques et méthodologiques qui soutiennent tout raisonnement scientifique, certaines des questions que la clinique avait fait naître.
En dehors de cet incontestable apprentissage théorique et méthodologique auquel invite l’université, celle-ci constitue également un lieu qui garantit la pluralité des regards et le dialogue au sein d’une discipline, et entre les différentes disciplines qui y sont représentées.
C’est un lieu de cohabitation des savoirs, ce qui me semble être le meilleur garde-fou contre une pensée dogmatique. La pluridisciplinarité et ce qu’elle implique en termes de rencontres, de dialogue, de débats, au sein et entre les disciplines, est une occasion d’affiner, individuellement et collectivement, mon champ d’étude, les concepts que j’utilise, mes découvertes, les limites auxquelles je me confronte et la complémentarité avec d’autres à laquelle ces limites invitent.
C’est également un lieu de transmission de connaissances, mais aussi le lieu d’un dialogue scientifique au sein duquel les occasions de prise de parole, l’organisation d’événements universitaires ou d’universitaires sont autant d’occasions de faire vivre la psychanalyse en continuant d’interroger ses concepts à la lumière de notre époque.
Les exemples ne manquent pas à révéler une forme de mal-être ambiant qui tend à se répandre au sein des différentes générations qui composent notre société. J’ai par exemple à l’esprit la consommation de benzodiazépines des français qui ne cesse pas d’être élevée (2), ou encore les chiffres récents qui confirment que la souffrance des adolescents ne fait qu’augmenter ces dernières années (3). Mais alors, ces alertes sociétales et ces chiffres, au service de quoi sont-ils mis ?
C’est là que la psychanalyse apporte une réponse singulière, en ce qu’elle s’intéresse d’abord au malade et non à la maladie, ce qui me semble constituer une réponse clinique valable à la souffrance psychique ; c’est-à-dire en invitant à se mettre à l’écoute de cette expression symptomatique et de la manière dont elle s’est constituée en dire, plutôt qu’en cherchant à faire taire rapidement un symptôme pris isolément.
Qu’attendre de la psychanalyse à l’université ?
L’université, et le laboratoire de recherches qu’elle constitue au sens large, me semble pouvoir participer à la construction et à la transmission de théories qui, si elles restent toujours dans un corps à corps avec la clinique, peuvent prétendre être mises à profit, au un par un, de ceux qui souffrent et désirent ne plus souffrir. Avec ce un par un, l’un des points qui m’intéresse spécifiquement dans la psychanalyse concerne la question de l’interprétation et de son maniement. Là où l’on sait, tant dans le champ clinique que dans le champ de la recherche (4), que l’interprétation peut conduire à des raisonnements erronés, l’invitation que fait la psychanalyse à ne pas se précipiter à interpréter pour l’autre me semble particulièrement pertinente. La spécificité de la psychanalyse dans le champ de la science est dès lors de ne pas réduire son objet d’étude à n’être qu’objet, mais en l’incluant dans la recherche en tant que sujet.
L’université me semble, avec les limites que sont les siennes, être un dispositif à même de participer à maintenir l’éthique et la rigueur qui caractérisent la psychanalyse. Elle constitue un lieu qui permet l’actualisation et le développement des connaissances, de sorte que celles-ci puissent continuer à être mise à profit dans la clinique.
(1) Freud, S. (1919). « Faut-il enseigner la psychanalyse à l’université ? », in Œuvres complètes volume XV, PUF, 1996.
(2) La France est au 2è rang des plus gros consommateurs d’Europe ; Données issues de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), 2017.
(3) « Forte hausse des pensées et des tentatives de suicide chez les 18-24 ans en France » : +4,2% en 2021, consulté dans https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/05/forte-hausse-des-pensees-et-tentatives-de-suicide-des-jeunes-adultes-francais-selon-une-etude_6214813_3224.html
(4) Ioannidis, J-P. « Why Most Published Research Findings are False », in PLoS Med, vol. 2, n°8, 2005.
Chloé Blachère
Psychothérapie et psychanalyse à Paris 18è