L’addiction, ou l’installation d’un paradoxe entre les pensées et les actions
Il est courant qu’une personne qui fume témoigne de l’habitude qu’elle a prise du geste de fumer et du rituel, devenu quasi mécanique, qui accompagne l’acte de fumer.
Bien souvent, cette habitude n’a pas tardé à évoluer en addiction, conduisant le fumeur à réitérer, un certain nombre de fois par jour, le geste avec lequel il n’est pourtant plus en accord. Et pourtant, céder à ce geste lui paraît à chaque fois moins difficile que de résister à la tentation d’allumer une cigarette.
Le plus souvent, cette inadéquation entre l’intention de ne pas fumer et l’action de fumer vient révéler la destruction qui est à l’œuvre chez une personne. Il s’agit d’abord de la destruction, la plus connue, du corps et de l’organisme, agie à travers les substances introduites avec la fumée de cigarette inhalée. Mais il s’agit également d’une destruction psychique, parfois d’abord plus difficile à identifier, mais repérable en ce que le fait du fumer vient nourrir un sentiment de dépréciation de soi, un mouvement de sabotage, voire une haine solide éprouvée envers soi-même. Pour certains, cette haine précède le moment où ils ont commencé à fumer et remonte à la manière dont leur rapport à eux-mêmes et à l’autre s’est construit dans l’enfance.
« Je n’arrive pas à arrêter de fumer,
que faire ? »
En dépit du constat de la destruction à l’œuvre à travers le fait de fumer, l’arrêt de la cigarette peut demander du temps et parfois plusieurs essais. Ainsi, et bien que certains exemples démontrent qu’il est possible d’arrêter de fumer du premier coup et sans diminution préalable, pour un certains nombre d’autre fumeurs cet arrêt nécessite un processus. Ce processus, qui vise à se défaire progressivement de l’habitude d’être fumeur, est celui à travers lequel il devient possible d’envisager de continuer de vivre sans continuer de fumer.
Si une partie du Moi (qui correspond ici à l’une des instances psychiques constituant l’appareil psychique) reconnaît le plus souvent les effets néfastes de la nicotine, une autre les méconnaît. Pour cette seconde partie, la cigarette occupe une fonction psychique spécifique au sein de l’économie psychique globale. Prendre le risque de la faire disparaître sans qu’une construction ait pu commencer à être bâtie en amont revient au fait de prendre le risque de l’exposer d’une manière crue à ce que la cigarette avait précisément pour fonction de dissimuler. Il peut s’agir d’une angoisse massive, d’un sentiment de vide important, d’une difficulté à faire avec ses émotions, d’une incapacité à être en relation avec l’autre, d’une peur de la rencontre, ou bien encore d’une difficulté à s’accepter soi-même. Cette crudité peut aller jusqu’à produire l’effet inverse de celui escompté et lui faire préférer la fuite par exemple, ou bien la mise en place de compensations.
L’approche psychanalytique pour arrêter de fumer
C’est pourquoi, plutôt que de viser directement et massivement le fait d’arrêter de fumer, la psychanalyse ou la psychothérapie avec psychanalyste vise davantage à se mettre à l’écoute de ce que représente, singulièrement, c’est-à-dire pour une personne spécifiquement, le fait de fumer.
Le fait de fumer est donc envisagé comme un symptôme, c’est-à-dire, en d’autres termes, comme une énigme. Quel vide le fait de fumer vise-t-il à occulter ? En quoi cette habitude peut-elle être mise à profit pour différer la rencontre avec soi-même ? Qu’est-ce qui cherche à être payé à travers la répétition de ce comportement ?
Les associations libres de pensées, qui constituent la règle fondamentale à partir de laquelle se déroule une psychanalyse ou une psychothérapie avec psychanalyste ne tarde pas, à qui désire savoir, à dévoiler certains des éléments inconscients qui se trouvaient jusqu’alors enfumés, rendant du même coup possible d’éprouver et de supporter le manque.
Or c’est précisément à partir de ce manque qu’une construction devient possible, dans la mesure où le désir, qui met en mouvement, correspond au manque.
Chloé Blachère
Psychothérapie et psychanalyse à Paris 18è