De nombreuses guerres de chapelles parasitent le milieu de la santé mentale en France. D’aucuns souhaiteraient faire entendre raison aux autres, avec l’ambition secrète ou assumée de les voir disparaître du champ de la prise en charge psychique. Pourtant, garantir une pluralité de regards sur l’être humain – et avec elle autant de techniques cliniques –, n’est-ce pas la meilleurs manière de le préserver d’une pensée qui sinon pourrait finir par devenir réductionniste et mécaniciste ? Une pluralité de regards capables de se rencontrer, de dialoguer, de débattre, d’argumenter et finalement d’enrichir et d’affiner la prise en charge psychique de personnes en souffrance.
Dans ce champ du soin psychique, la place de la psychanalyse est régulièrement décriée. Pourtant, si elle continue d’exister depuis maintenant plus d’un siècle, c’est-ce pas justement parce que, loin du discours médiatique, des psychanalysants sortis de psychanalyse témoignent jour après jour de ce en quoi elle leur a permis de vivre mieux ? N’est-ce pas non plus pour cela que d’autres leur emboîtent le pas et viennent à leur tour rencontrer un psychanalyste ?
La psychanalyse à l’université, pour quoi et pour qui ?
De tous temps, la psychanalyse a fait l’objet de nombreuses objections, tant sur ses fondements théoriques que sur sa dimension curative. Sa place au sein de l’université est aujourd’hui décriée et plus d’un voudrait l’en voir disparaître. Déjà en 1919 , Freud lui-même posait la question de la place de la psychanalyse à l’université. Si du point de vue de la psychanalyse elle ne lui semblait en rien indispensable – ça n’est pas l’université en tant que telle qui forme le psychanalyste –, il lui paraissait pertinent qu’elle trouve sa place dans la formation universitaire du psychiatre mais aussi du médecin en général, afin que ceux-ci puissent acquérir une connaissance des facteurs psychiques à l’œuvre dans la maladie, en marge d’une approche purement symptomatique qui risquerait sinon de produire un manquement dans le traitement du malade. Plus largement, Freud suggérait par ailleurs l’enseignement de la psychanalyse aux étudiants de littérature, de philosophie, d’histoire des civilisations, etc. afin qu’ils puissent avoir une certaine connaissance de la singularité du fonctionnement de l’esprit humain et des processus psychiques.
La scientificité de la psychanalyse
La question de la scientificité de la psychanalyse est mise par certains au cœur de la question de la place de la psychanalyse à l’université. C’est ce que défendent par exemple les signataires d’une tribune publiée par l’Obs le 22 octobre 2019, pour lesquels la psychanalyse ne peut pas être mise à profit dans le champ de la santé mentale étant donné qu’elle ne fait pas science. Selon eux, il s’agit de « dogmes idéologiques, fondés sur des postulats obscurantistes et discriminants sans aucune validation scientifique », sans « preuves » ni « données acquises par la science ». Il est de bon ton, dans un tel contexte, de revenir à ce que l’on appelle faire science. Car pour qu’un raisonnement scientifique puisse être reconnu comme étant valable, il est nécessaire de veiller à ce que soit comparé ce qui est comparable. Or, il semblerait que dans le cas qui nous occupe, cette rigueur scientifique ne soit pas respectée et que la confusion entre une méthodologie quantitative et une méthodologie qualitative soit l’élément permettant de discréditer la psychanalyse. A cela s’ajoute le constat que selon les disciplines et la méthodologie qu’elles adoptent, le choix d’objet d’étude peut différer : alors que l’une s’intéresse à l’individu en tant qu’il est unique, singulier – c’est le cas de la psychanalyse –, l’autre étudie un symptôme ou un syndrome – c’est le cas des thérapies cognitivo-comportementales par exemple.
Ainsi, ce n’est pas parce que les outils d’évaluation et de mesure ne sont pas identiques, parce que l’objet d’étude diffère qu’il faut conclure à l’invalidité de l’une ou l’autre des méthodologies et des disciplines qui y sont rattachées.
Vers une possible complémentarité
Nous l’avons vu, les visées mêmes de disciplines telles que la neuroscience, les techniques cognitivo-comportementales, la psychiatrie ou la psychanalyse sont intrinsèquement différentes. Ce constat pose la question suivante : pour quelle raison chercher à tout prix à les comparer ? Pourquoi l’une viendrait-elle menacer l’autre ? Car au-delà de la question de la scientificité de la psychanalyse – point sur lequel les psychanalystes eux-mêmes ne sont pas tous d’accord , un certains nombre de cliniciens révèlent, par leur pratique quotidienne conjointe et les effets thérapeutiques que cela produit, que leurs actions sont complémentaires. En effet, il est de la responsabilité clinique de chaque professionnel de santé – qu’il s’agisse du médecin ou du psychanalyste – d’orienter le patient venu le consulter vers le bon interlocuteur. C’est son examen clinique qui détermine, pour le psychanalyste, la nécessité d’une prise en charge également médicale, et pour le médecin, la pertinence d’une orientation vers le psychanalyste. Cette rigueur, si elle a des conséquences sur l’individu venu consulter, en a également à l’échelle collective, tant au niveau politique que social. Effectivement, il est aujourd’hui connu que le choix exclusif et isolé du traitement médical du symptôme s’avère coûteux pour notre système de santé. A cela s’ajoute le fait que la consommation médicamenteuse, par le fait qu’elle ne cesse d’augmenter, ne peut être l’unique réponse à tous les maux. C’est ce que révèlent par exemple les derniers classements européens concernant la consommation de benzodiazépines, pour laquelle la France occupe le 2è rang des plus gros consommateurs d’Europe . Ces chiffres ne présentent un intérêt que s’ils jouent leur fonction d’alerte, qu’ils sont analysés et qu’ils ont pour effet une meilleure prise en charge de l’être en souffrance. Car si l’efficacité de ces molécules n’est plus à démontrer, elle ne peuvent suffire à résoudre, durablement, la détresse, l’isolement, l’angoisse, la tristesse, la colère, la perte d’un être cher, la peur, etc. éprouvés par un être.
Cette notion de complémentarité des actes thérapeutiques nécessite que chacun des professionnels connaisse avec précision son champ d’action et s’y tienne.
Cure psychanalytique et prise en charge somatique ne s’excluent pas, bien au contraire. Leur prise en charge conjointe permet que le psychisme puisse être traité dans le même temps que l’organique ou le corporel, permettant que l’individu puisse être appréhendé dans sa complexité et non plus réduit à son seul symptôme. Ce travail de partenariat a également pour visée de réduire l’emballement pharmaceutique observé.
L’approche de la psychanalyse vis-à-vis du symptôme
Le risque de réduire de plus en plus une personne à son symptôme n’offre que peu de perspective que celui-ci puisse se construire comme un être singulier, capable d’aimer, de travailler, d’occuper sa place dans la cité avec responsabilité – c’est-à-dire en en acceptant les règles –, avec dignité et satisfaction. Cette position subjective, la psychanalyse peut lui permettre de la construire. Et c’est bien souvent le symptôme qui la rend possible car il pousse l’être à trouver des solutions et à venir consulter. Vouloir le faire taire à tout prix, au plus vite, c’est courir le risque de voir se refermer une fenêtre qui donne accès à soi-même. C’est pourquoi la technique psychanalytique, si elle produit bien souvent des effets rapidement dans la vie d’un être, n’établit pas comme enjeu de la cure la disparition du symptôme.
Ce chemin que la psychanalyse met à disposition de celui qui le souhaite, il passe par le langage, en tant qu’il humanise. Car c’est bien le langage et « l’inconscient structuré comme un langage » qui constituent le cœur-même de la psychanalyse.
Pour conclure
S’il est vrai que certaines dérives existent, ce que l’on ne peut que déplorer, on ne peut pour autant y réduire la psychanalyse. En effet, celle-ci constitue une discipline rigoureuse dont les racines se trouvent dans la clinique, c’est-à-dire dans le discours des patients. C’est à partir de ce discours, celui d’un être qui souffre, que la technique psychanalytique s’est construite, avec la perspective qu’une personne en souffrance puisse s’inscrire autrement dans son existence, en ayant acquis son autonomie et en assumant sa singularité.
Quelle que soit l’orientation privilégiée, « respecter soi-même une certaine éthique » implique une certaine modestie ainsi que le maintien d’une « diversité des savoirs et des pratiques » , comme garantie faite à chacun en matière de soins et d’expertises.
Dans le cadre de la psychanalyse, l’articulation entre son fondement théorique et la clinique permet qu’elle ne devienne pas une discipline figée dans le temps. Elle lui permet d’évoluer au fil des époques, d’une manière qui soit ajustée aux problématiques toujours nouvelles, inhérentes à l’espèce humaine et à son organisation.
Chloé Blachère
Psychologue et psychothérapeute à Paris 18è et Paris 9è
Bibliographie
Abelheuser, A. & al. (2019). La psychanalyse exclue de la cité. L’Obs, 01 novembre 2019, https://www.nouvelobs.com/justice/20191101.OBS20581/la-psychanalyse-exclue-de-la-cite.html
Données issues de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé), 2017.
Freud, S. (1919). « Faut-il enseigner la psychanalyse à l’université ? », in Œuvres complètes volume XV, PUF, 1996.
Lacan, J. (1981). Le séminaire, Livre III: Les psychoses, 1955-1956, (texte établi par Jacques-Alain Miller), Paris: Seuil. p.187